En septembre 2018, La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) avait lancé son programme de renommée internationale Women in Business au Maroc afin de renforcer l’économie nationale en libérant le potentiel des femmes entrepreneurs. Ce programme bénéficie du soutien de l’Union européenne dans le cadre de son initiative en faveur de l’inclusion financière pour le financement de l’assistance technique et des garanties de première perte.
Dans un premier temps, la BERD avait signé un prêt de 20 millions d’euros sur cinq ans avec Bank of Africa et un prêt de 15 millions d’euros sur cinq ans auprès de BMCI. Ces deux lignes de financement, en monnaie locale, visent à soutenir les PME dirigées par des femmes. De même, en avril 2019, la BERD et le Crédit Agricole du Maroc (CAM) ont signé une lettre de mandat relative à la mise en place d’une ligne de crédit de 20 millions d’euros, en soutien des entreprises et micro-entreprises dirigées par des femmes principalement dans le secteur agricole et agroalimentaire.
Le programme cible au moins 200 femmes entrepreneures au Maroc durant sa phase initiale à travers des financements et des prestations de conseil. En effet, en plus du financement, les femmes entrepreneures recevront des conseils en gestion d’entreprises afin de devenir plus compétitives, ainsi que des formations, un encadrement et des services de networking. Elles auront par ailleurs accès à l’autodiagnostic en ligne de la BERD, Business Lens. Cet encadrement permettra aux femmes entrepreneures de partager leurs expériences et de renforcer leur leadership.
Les femmes entrepreneures représentent seulement 12% du nombre total des entreprises au Maroc, dont 1/3 dans le secteur formel. Ce programme permettra d’autonomiser les femmes entrepreneures en leur permettant d’accéder au financement et au savoir-faire en matière de gestion d’entreprises
En effet, le lancement par la BERD de son programme Women in Business au Maroc a été motivée notamment par les résultats de l’étude menée en 2017 sur la segmentation du marché des entreprises dirigées par des femmes, « Morocco : Women in Business – Segmentation study », financée par le Fonds spécial des actionnaires de la BERD et préparée par ConsumerCentriX pour l’Équipe Genre.
Voici une synthèse des résultats de cette étude, tels publiés par la BERD :
Pourquoi les banques marocaines devraient-elles s’intéresser aux entreprises dirigées par des femmes ?
Les entreprises dirigées par des femmes représentent une opportunité inexploitée que toute banque ayant un intérêt stratégique pour le segment des PME au Maroc devrait envisager. Compte tenu de l’absence d’offre dédiée, de la concurrence limitée et du potentiel inexploité de nombreuses relations clients, le marché des entreprises dirigées par des femmes donne au pionnier dans le marché l’avantage de capter les sous-segments les plus attractifs, de fidéliser les clients et d’asseoir sa domination sur le marché.
• Au Maroc, le besoin de financement des entreprises dirigées par des femmes représente un marché potentiel de 862 millions d’euros de prêts aux entreprises et de 195 millions d’euros de recettes par an.
• Répondre également aux besoins financiers personnels et familiaux de ces femmes augmenterait les revenus bancaires d’au moins 26 %. Ainsi, le marché des entreprises dirigées par des femmes que le secteur bancaire pourrait directement adresser représente 31 % du portefeuille de prêts PME actuel.
• Les opérations couvrant les principaux besoins personnels des femmes (comptes en banque, prêts hypothécaires et assurance) représentent potentiellement 52 millions d’euros supplémentaires par an. Assurer le bienêtre financier de leur famille est, de loin, la motivation première des Marocaines – et des Marocains – chefs d’entreprise. Si les banques lancent des offres dédiées et surmontent les obstacles entravant la demande (éducation financière, confiance dans le système bancaire, meilleure compréhension des produits d’emprunts, d’épargne et autres), les estimations promettent jusqu’à 41 % des revenus bancaires actuels générés par le segment des PME.
Les entreprises formelles dirigées par des femmes : une clientèle cible facile à atteindre pour les banques
1 entreprise formelle sur 2 dirigée par des femmes n’a encore aucun compte bancaire pour financer ses activités ; et celles qui en ont, n’utilisent pas les services bancaires de façon optimale, systématique et régulière. Moins de 30 % des femmes entrepreneurs ont souscrit un emprunt en 2017, et environ 60 % d’entre elles ont recours à l’épargne bancaire. Leur niveau d’instruction, leur compréhension de l’informatique, leur ambition et leur confiance en elles dépassent ceux des entrepreneurs masculins. Pourtant, la plupart ignorent de quelle manière les services financiers peuvent améliorer leur vie personnelle et professionnelle. Pour être rentables, les services bancaires dédiés à cette clientèle ne nécessiteront pas de changements significatifs par rapport au modèle actuel.
Entreprises informelles dirigées par des femmes : une stratégie à long terme
Souvent à court de liquidité, ces entreprises souscrivent très souvent des emprunts (40 %), mais surtout auprès de leur famille ou amis (60 %) ou d’institutions de microfinance (35 %). Ces femmes entrepreneurs n’ont pas assez confiance en elles pour demander un prêt bancaire. Les banques peuvent être attirées par la taille absolue du marché informel, soit environ deux tiers des entreprises dirigées pardes femmes — voire plus. Opérer sur ce sous-segment nécessitera de modifier les canaux de distribution et les modèles économiques.
Services bancaires pour les femmes au Maroc : pratiques
Actuellement, les pratiques bancaires relatives aux PME au Maroc entravent considérablement le recours plus actif au financement. Le modèle bancaire en place pour les PME est assez conventionnel, fondé sur des succursales, centré sur les prêts et est passif tout en exigeant des garanties. Il ne reflète ni les besoins ni les priorités du marché potentiel qu’il est censé servir.
En conséquence, le recours aux banques au Maroc reste bien en-deçà de ses possibilités — pour les hommes comme pour les femmes entrepreneurs.
Les banques ne savent pas communiquer activement avec leurs clients. La plupart des femmes entrepreneurs ne comprennent pas dans quelle mesure les banques et leurs services peuvent leur être utiles (entreprises formelles : 55 %, informelles : 84 %).
La faible fréquence à laquelle les banques marocaines contactent les MPME au sein de leur clientèle montre que l’offre ne cherche pas à développer la demande (même parmi les entreprises formelles, 50 % d’entre elles sont contactées par leur banque moins d’une fois par semestre).
La microfinance, prépondérante au sein des entreprises dirigées par des femmes, arrive bien avant le recours aux banques. Les femmes demandent des prêts aux institutions de microfinance nettement plus souvent que les hommes (24,5 % contre 12,6 %). Cet écart est encore plus marqué pour les entreprises informelles. Le désir de protection financière est une motivation forte, trop peu prise en compte, pour mobiliser l’épargne et l’auto-assurance.
Protéger sa famille contre les imprévus et les risques financiers compte parmi les priorités financières, souvent ignorées, des femmes entrepreneurs. Les niveaux de dépôt restent inférieurs à leur potentiel, et les clients sont insuffisamment assurés. Les produits en « packs » (épargne ou prêts doublés d’une assurance par exemple) et la communication peuvent changer la donne.
Services bancaires pour les femmes : que faut-il changer ?
Il est possible de capter une part importante du marché en changeant quelque peu les pratiques bancaires. Se mettre au service des entreprises dirigées par des femmes nécessite de définir une stratégie dédiée après avoir bien compris à quel point la personne « derrière » l’entreprise, ses besoins et ses priorités comptent, et que les femmes entrepreneurs nécessitent une approche différenciée. Pour y parvenir, il convient de renforcer la relation client, si besoin en formant le personnel à cet effet. Si les changements à apporter requièrent quelques efforts, ils sont peu coûteux et peuvent grandement bénéficier à ces entreprises comme à tout le marché des MPME.
D’autres aspects incluent la nécessité de développer de nouveaux canaux de distribution notamment par mobile, vidéo et agences régionales— autant de solutions essentielles pour atteindre les femmes entrepreneurs peu disponibles en raison de leurs responsabilités familiales et encourager les dépôts et les transactions électroniques.
Il est aussi possible de renforcer auprès des femmes entrepreneurs l’attractivité de certains produits financiers :
• en développant des produits adaptés aux secteurs où elles sont le plus actives par exemple par des solutions bancaires personnalisées ;
• en proposant des solutions hybrides, telles qu’une approche croisée, mêlant services aux PME et banque de détail ;
• en apportant des réponses adaptées aux clients ayant des flux de trésorerie instables : les banques doivent anticiper et ajuster les conditions de prêt aux évènements de la vie comme la maternité.
Les garanties en ligne de mire
Ni les femmes ni les banques ne tirent profit de prêts adossés à des garanties.
Au Maroc, les femmes ont peu d’actifs à fournir en garantie de prêts, ce qui constitue une difficulté majeure quand elles sont chefs d’entreprise. Conformément au droit marocain sur les successions, la séparation des actifs au titre du régime matrimonial et d’une quote-part inferieure pour les femmes dans l’héritage demeurent une réalité. Cela crée un écart hommes/femmes en matière de propriété des actifs qui varie de 15 à 40 %, les écarts les plus marqués concernant les garanties bancaires immobilières.
Le prêt adossé à des garanties peut être moins efficace qu’escompté. Avec un taux de recouvrement estimé à 28,1 % de la valeur de la garantie et une durée moyenne de 3,5 ans pour y parvenir, le Maroc est loin derrière ses voisins, la Tunisie et l’Algérie, ou la moyenne de l’OCDE (72,3 %).
Les efforts accrus pour superviser le portefeuille de prêts devraient être compensés par la tendance des femmes à mieux respecter leurs obligations de remboursement. Sans garantie, la détection d’arriérés et la résolution pro-active des problèmes liés aux prêts doivent intervenir plus vite. L’engagement individuel auprès des emprunteurs est alors capital : les enquêtes montrent que, traitées avec respect et discrétion, les femmes s’efforceront plus que les hommes d’éviter tout défaut de paiement. Sur certains sous-segments, elles sont même 10 % plus nombreuses à donner la priorité au remboursement d’emprunt.
Les banques doivent concevoir une méthode factuelle d’évaluation des risques s’attachant plus aux informations sur le client, telles que sa trésorerie et les risques associés à son secteur d’activité, et moins à ses actifs. De nouveaux outils d’analyse seront sans doute nécessaires pour mener à bien – voire automatiser – les nouveaux processus d’évaluation des risques. Une approbation réglementaire de ces outils peut être nécessaire.
Les banques marocaines peuvent aussi s’appuyer sur l’expérience internationale pour prêter efficacement avec des options de garantie flexibles (en prenant des garanties sur des actifs mobiliers, comme en Turquie par exemple). Face aux sources informelles de prêt (amis, famille, vente d’actifs), en proposant des garanties plus flexibles, les banques capteraient une part du marché de l’emprunt bien supérieure sur ce segment.