« Il faut agir comme des partenaires et non comme des concurrents pour conquérir de nouveaux marchés»
Pour la maroco-tunisienne Ghozlene Oubya, il est temps que le Maroc et la Tunisie agissent comme des partenaires et non des concurrents pour devenir une force régionale et africaine. Cependant, il faut d’abord doper les échanges entre les deux pays qui, jusqu’ici, restent en dessous des objectifs. Certains obstacles doivent être adressés. La chambre de commerce a été ainsi lancée afin de consolider les relations bilatérales. Ghozlene Oubya réclame, entre autres, la reconnaissance mutuelle des certificats de conformité, la création d’une ligne maritime directe entre le Maroc et la Tunisie ainsi que davantage de diversité dans les produits échangés.
- Vous êtes fondatrice et présidente de la Chambre de commerce et d’industrie Maroco-tunisienne (CCIMT). Qu’est-ce qui vous a motivé pour lancer la CCIMT ?
Étant moi-même maroco tunisienne, le Maroc est mon pays de cœur et la Tunisie mon pays natal, je pensais qu’il était temps de combler le vide dans le domaine du partenariat public privé et de créer une entité indépendante pour le renforcement des liens entre les deux pays frères.
Ce projet me tenait particulièrement à cœur car il est important de créer un pont et de consolider les relations bilatérales qui ont connues des jours meilleurs, il faut renforcer les relations pour former des partenariats et permettre de viser de véritables perspectives d’avenir.
Ceci nous a amené à créer l’association de la CCIMT qui vise tous les domaines : économique, social, culturel.
Je voulais également préciser que cette chambre de commerce fraichement créée est une initiative de Femmes et d’Hommes aussi bien tunisiens que marocains dont la volonté commune est de renforcer le lien fraternel entre les deux pays et de donner une pulsion concrète et structurée aux relations bilatérales.
Il est temps aujourd’hui d’agir comme des partenaires et non comme des concurrents car ensemble nous pouvons conquérir de nouveaux marchés et devenir une force régionale et dans le continent africain.
- Où en sont aujourd’hui les relations économiques et commerciales entre le Maroc et la Tunisie ?
Malgré les nombreux accords signés qui devaient promouvoir la coopération et l’intégration économique entre le Maroc et la Tunisie, force est de constater qu’aujourd’hui les possibilités de commerce régional sont sous exploitées voire même inexistantes entre certains membres de l’union maghrébine.
Il est aujourd’hui crucial d’accélérer l’intégration régionale pour répondre à une demande accrue d’emploi d’une population jeune et en constante augmentation.
Le potentiel pour accroitre les échanges est énorme, et permettrait une grande ouverture au commerce intra régional de biens et de services qui aurait l’avantage de créer un grand marché de plus de 100 millions de personnes, rendant la région plus attrayante pour les investisseurs, d’accélérer la croissance et de créer de l’emploi.
Dans le cas de la Tunisie et du Maroc, le volume des échanges entre les deux pays augmente chaque année, le Maroc est le troisième partenaire économique de la Tunisie au niveau maghrébin et arabe, avec un volume d’échanges commerciaux qui a atteint, en 2018, environ 300 millions de dollars ($), dont 200 millions de $ d’importation et 100 millions $ d’exportation, soit un taux de couverture de + 200% pour la Tunisie.
Ce volume des échanges est malheureusement en dessous des 500 millions de dollars que la Haute Commission Mixte, avait instituée comme objectif à atteindre à l’horizon 2020.
Certains obstacles doivent être adressés afin de palier à ce manque à gagner, mais cela ne peut se faire qu’avec la collaboration des parties publiques et privés et la reconnaissance mutuelle des certificats de conformité, la création d’une ligne maritime directe entre le Maroc et la Tunisie, et davantage de diversité dans les produits échangés.
Le potentiel que pourrait fournir la complémentarité des échanges n’est absolument pas exploité. La similitude des produits exportés devient ainsi un réel frein au développement des relations commerciales.
Le manque à gagner est aujourd’hui énorme et nous espérons qu’à notre échelle et à travers une meilleure analyse des deux marchés nous pourrons contribuer à l’atteinte des objectifs fixés en permettant un essor des échanges tant économiques que culturels.
- Quels sont les actions et les services offerts par la CCIMT pour promouvoir encore les relations économiques maroco-tunisiennes, particulièrement dans ce contexte de crise sanitaire ?
Le rôle de la chambre de commerce est de proposer une plateforme d’accompagnement des professionnels marocains et tunisiens dans le développement de leur activité industrielle et commerciale.
Il s’agit de faciliter la création d’entreprise, de développer le réseau, d’aborder les aspects juridiques, financiers, règlementaires et les démarches administratives.
Les entreprises tunisiennes désirant s’implanter dans le Royaume, bénéficieront d’un ensemble de services à la carte tels que l’assistance dans leur installation, leurs accompagnements dans leurs diverses démarches comme la création d’entreprise, enregistrement de la marque, la domiciliation.
L’aide au benchmark via l’accès à des informations sectorielles sur le marché marocain
l’expertise de nos partenaires exerçants dans différents secteurs d’activité et l’accès à un important réseau d’entreprises marocaines.
Nous voulons également encourager le coté culturel, en présentant des artistes, auteurs tunisiens et marocain, organiser des expositions et des rencontres culturelles afin que cette chambre prenne tout son sens dans l’essor et le développement des relations.
- Quelle est la place de la femme entrepreneure dans la stratégie de la CCIMT ?
Nous sommes convaincus que la parité homme femme que nous avons voulu au sein de la CCIMT est un atout certain qui nous permet aujourd’hui de mettre en place une gouvernance saine et un débat constructif autour des axes de développement de notre chambre.
Je suis moi même fière d’être parmi les seules femmes présidentes de chambre de commerce non seulement au Maroc mais en Afrique et au Moyen Orient.
On s’inscrit dans cette nouvelle dynamique, le multilatéralisme ayant accusé un échec avec l’exemple de l’UMA nous prônons aujourd’hui le bilatéralisme.
La fraternité ne peut peut pas exister sans action, car malgré les accords et discours politiques, la réalité nous rattrape au quotidien, que ca soit au niveau des douanes, des transports et échanges de toutes sortes.
- Quels sont les projets et prochains grands rendez-vous de la CCIMT ?
Avec l’espoir que cette crise sanitaire prendra fin au plus vite, nous avons pour ambition de créer le forum maroco-tunisien et de créer une vraie plateforme d’échange entre les acteurs des deux pays.
Avec la collaboration de l’Ambassade de Tunisie, il s’agirait de créer une série de séminaires faisant la promotion des opportunités bilatérales en créant un espace d’échange autour de diverses problématiques et challenge que connaissent nos entrepreneurs, aussi bien tunisiens que marocains.
Nous espérons qu’au point de vue politique les accords de libres échanges seront réciproquement respectés au niveau des douanes.
Il est crucial aujourd’hui de s’aligner au niveau des nomenclatures avec un registre d’importation référencé et de faciliter les échanges en créant par exemple des statuts pour les grandes entreprises comme le « fast track » pour le port de Tanger selon la fréquence d’importation et le chiffre d’affaire.
Cette période de crise sanitaire mondiale est une dure épreuve et touche particulièrement les pays en voie de développement, la solidarité régionale s’impose donc.
Il est nécessaire de prendre des décisions pour éviter une crise économique d’ores et déjà entamée par la covid19 et ce en commençant par remettre sur pied le système de santé défectueux.
Le Maroc et la Tunisie dont le PIB et l’économie repose grandement sur le tourisme contribuant respectivement à 19% et 15% du PIB seront les premiers à en pâtir.
La situation économique au Maroc n’étant pas au beau fixe dû à des années répétitives de sècheresse causant une montée exponentielle du chômage, avec désormais plus d’un million de chômeurs. La Tunisie n’est pas en reste quant au nombre de chômeurs avec 27% de taux de chômage.
Des fonds spéciaux ont été crées pour faire face à cette crise sans précèdent mais plus d’efforts et d’actions doivent être menés afin d’émerger de cette pandémie pour éviter des conséquences désastreuses.
L’union des deux pays pourrait être notre issue de secours, car en unissant nos connaissances, et en déployant des moyens pour la sauvegarde des économies, nous pourrions y arriver.
Propos recueillis par Karima Rochdi