Entretien avec Amal Idrissi, Directrice Exécutive de l’Observatoire Marocain de la TPME

Le prochain rapport annuel de l’Observatoire Marocain de la TPME sur la situation globale des entreprises au Maroc pour l’année 2019 sera publié vers juin 2021. En attendant, une autre étude conjointe avec la Banque africaine de développement et le Bureau International du Travail sera publiée, portant sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’emploi et les TPME, ainsi que les mesures d’urgence et les perspectives de reprise. Dans cet entretien, Madame Amal Idrissi revient sur les principaux résultats du premier rapport annuel (2018) dévoilé en septembre dernier. Elle annonce également que l’intégration de l’approche genre dans les indicateurs de l’Observatoire est prévue par son nouveau plan stratégique 2021-2023. D’autres projets importants sont prévus notamment une étude sur les entreprises de la région Casablanca-Settat en collaboration avec le Centre Régional d’Investissement.

L’Observatoire Marocain de la TPME a publié en septembre dernier la première édition de son rapport annuel. Pourquoi ce travail a-t-il demandé beaucoup de temps sachant que le rapport concerne l’année 2018 ?

Le délai de publication de la première édition de notre rapport annuel, qui porte sur les chiffres de 2018, est tout d’abord justifié par les délais légaux de disponibilité des bases de données sur lesquelles l’Observatoire travaille (délais liés aux dépôts des déclarations fiscales, dépôts de bilans auprès de l’OMPIC, etc.) et qui sont assez longs. A cela il faut ajouter le délai de la mise en place des prérequis techniques nécessaires au traitement des bases réceptionnées. De manière générale, les benchmarks auprès d’institutions internationales montrent que la publication de ce type de rapport intervient autour de 18 mois après la clôture de l’exercice étudié. Après ce premier exercice, l’Observatoire devrait améliorer progressivement la fréquence de ses publications.

Quels en sont les résultats les plus marquants ?

Il faut tout d’abord préciser que la priorité a été donnée, pour ce premier rapport, aux entreprises Personnes Morales soumises à l’IS, avant d’étendre ce travail prochainement aux entreprises Personnes Physiques. Ses principales conclusions sont en premier lieu une contribution relativement modeste des TPME (entreprises avec un chiffre d’affaires annuel inférieur à 175 millions de dirhams, selon la définition retenue par l’Observatoire) à l’économie marocaine, vu qu’elles n’ont réalisé à fin 2018 que 36,7% du chiffre d’affaires global des entreprises Personnes Morales actives, 27,3% seulement du chiffre d’affaires à l’export et 36,6% de la valeur ajoutée globale (hors celle du secteur financier), en dépit de leur majorité écrasante dans le tissu productif, à 99,4%. En revanche, elles sont les principales pourvoyeuses de l’emploi, avec une part de 73% de l’effectif déclaré à la CNSS. Le rapport relève également une forte concentration de ces entreprises, car 66% d’entre elles exercent dans l’axe Tanger-El Jadida, avec une prépondérance dans la région de Casablanca qui recense 40,3% de l’effectif total. Par ailleurs, près de 30% des entreprises recensées opèrent dans le commerce et 24% dans la construction.

Concernant l’accès au financement des entreprises, le taux d’accès moyen global au crédit bancaire se situe à 40%, réparti néanmoins d’une manière hétérogène : si les grandes et moyennes entreprises ont un taux d’accès d’environ 86%, les microentreprises (dont le chiffre d’affaires est inférieur à 3 millions de dirhams) en sont à 16,2%. Cette catégorie est tirée vers le bas par les microentreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million de dirhams dont le taux d’accès au financement se situe à 13% seulement.

La première production de l’Observatoire relève également des fragilités financières auprès des TPME et surtout auprès des plus petites entreprises, qui font que beaucoup d’entre elles sont radiées avant d’arriver à maturité. En effet, nous avons constaté que les entreprises radiées avant d’arriver au terme de 5 ans d’existence représentent, en moyenne annuelle, plus de 50% du total des radiations sur la période 2016-2018.

Qu’en est-il justement de la santé économique et financière des entreprises ?

L’analyse des bilans des entreprises étudiées a montré des indicateurs financiers mitigés notamment chez les TPME. A titre d’exemple, celles-ci disposent en majorité d’une trésorerie nette positive, ce qui est loin de constituer un indicateur de bonne santé financière car il reflète plutôt la faiblesse de leur niveau d’investissement et le manque du dynamisme de leur activité. Par ailleurs, la rentabilité des capitaux propres est négative chez les microentreprises, avec un ratio de -11,2% en moyenne, contre 8,2% pour les grandes entreprises.

Par ailleurs, la productivité des grandes entreprises est plus élevée de 2,8 fois que celle des autres catégories de TPME. Ces écarts s’expliqueraient par des facteurs organisationnels, technologiques et humains.

A la lumière des résultats de cet important rapport, quelles seraient vos recommandations pour renforcer la solidité et la croissance des TPME au Maroc ?

A l’heure de la révolution digitale que connaît le monde, la donnée représente un actif stratégique qu’il faut analyser pour en tirer des informations à forte valeur ajoutée et ce, afin de mieux appréhender et quantifier les problématiques liées à la TPME et pour mieux dimensionner les solutions qui leur sont adressées, dans le but justement de renforcer leur solidité et leur croissance.

L’Observatoire, par son rôle de producteur d’indicateurs sur les TPME constituant des outils d’aide à la décision se basant sur la fédération des sources de données des institutions publiques (DGI, CNSS, OMPIC, BAM) en intégrant pleinement les nouvelles évolutions de la data science, est appelé à jouer un rôle structurant dans la stratégie de développement des TPME, à travers un diagnostic profond du tissu productif. Ce diagnostic devrait constituer un référentiel pour les pouvoirs publics dans l’élaboration de leurs décisions et de leurs politiques en faveur de ce segment d’entreprises, mais aussi d’en mesurer l’impact afin d’être dans un processus d’amélioration continu.

Notre recommandation donc est que les pouvoirs publics, les investisseurs et les entreprises intègrent au maximum dans leurs palettes d’outils les statistiques, les indicateurs et les analyses fournis par l’Observatoire, pour définir des politiques plus en adéquation avec la réalité économique. C’est ce qu’on appelle le « data driven » ou les stratégies basées sur les données qui sont actuellement très utilisées dans les pays développés ou émergeants

L’observatoire envisage –t-il l’intégration de l’approche genre dans les futurs rapports, pour élargir l’analyse des données aux TPME dirigées par les femmes ?

L’intégration de l’approche genre dans les indicateurs de l’Observatoire est prévue par son nouveau plan stratégique 2021-2023. Le sujet nous intéresse énormément, d’autant plus qu’il est lié à l’inclusion financière des femmes, un élément qui représente un pilier de la Stratégie Nationale d’Inclusion Financière.

Il faut dire toutefois que les données concernant cet aspect ne sont souvent pas remplies dans les bases que nous recevons. L’Observatoire travaille donc étroitement avec ses partenaires sur cet obstacle.

A quand la publication du prochain rapport de l’Observatoire Marocain de la TPME et quelles seront ses nouveautés ?

Le prochain rapport annuel sur la situation globale des entreprises au Maroc pour l’année 2019 sera publié vers juin 2021. Cela étant, la prochaine publication de l’Observatoire sera sous-forme d’un rapport conjoint avec la Banque africaine de développement et le Bureau International du Travail, portant sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur l’emploi et les TPME, ainsi que les mesures d’urgence et les perspectives de reprise. Il y a également une étude en préparation sur la région Casablanca-Settat en collaboration avec le Centre Régional d’Investissement de la région, sous-forme d’une analyse détaillée de la situation démographique, économique et financière des entreprises qui y opèrent.

Quels sont vos autres projets ?

Le Conseil d’Administration de l’Observatoire a récemment validé son plan stratégique pour la période 2021-2023, qui inscrit l’OMTPME dans une nouvelle phase de développement dont la finalité est d’améliorer ses productions portant sur le tissu productif national tout en intégrant les différentes mutations apportées par diverses politiques publiques régionales et sectorielles (Nouveau modèle de développement, Stratégie Nationale d’Inclusion Financière, etc.). Le périmètre et la cadence de production d’études seront donc élargis pour couvrir diverses populations telles que les personnes physiques ou les forfaitaires, ainsi que le lancement d’une réflexion sur le traitement du secteur informel.

Toujours dans le cadre de ce nouveau plan, l’Observatoire envisage de mettre en place un système d’information décisionnel pour permettre l’industrialisation de ses productions, communément appelé data factory, ainsi que d’accélérer la signature de nouvelles conventions d’échange de données ou avenants aux conventions déjà signées (avec la DGI, la CNSS et l’OMPIC) afin d’élargir le champ des données partagées, tout en revoyant son organisation et en renforçant ses équipes afin de réaliser les objectifs précités.

Propos recueillis par Karima Rochdi