L’absence de politique encourageant l’accès au travail des femmes et les disparités entre hommes/femmes au Maroc, ces dysfonctionnements, ont poussé Leïla Bazzi à s’engager  pour changer la situation des femmes exclues, des potentiels sous-estimés et une situation qui continue à se dégrader. À travers la création de Lean In Morocco Chapter, Leïla Bazzi aspire à contribuer au développement des femmes au Maroc en tant qu’actrices clés au développement économique et social, que ce soit dans le monde de l’entreprise ou dans le monde de l’entreprenariat. Interview exclusive de Leïla Bazzi, fondatrice de Lean In Morocco Chapter

Comment avez-vous créé le réseau Lean In ?

En 2016, je découvre le livre inspirant Lean In « En avant toutes » de Sheryl Sandberg, Directrice des opérations (COO de Facebook), dans lequel elle encourage les femmes à aller de l’avant, à accéder au pouvoir, à occuper des postes à responsabilités, etc. Ce livre a été une révélation qui m’a motivé à créer Lean In Morocco Chapter.

La plateforme internet LeanIn.org consiste à créer des cercles, qui sont des réseaux informels où les femmes vont se retrouver en petit groupe, afin de partager leurs expériences professionnelles et challenges rencontrés au cours de leur parcours professionnel.

Lean In dans le monde, c’est plus de 50 000 Cercles Lean In répartis dans plus de 175 pays. Leurs membres se réunissent partout.

85 % de leurs membres attribuent aux Cercles un changement positif survenu dans leurs vies. Les femmes demandent plus, sortent de leur zone de confort et vont de l’avant.

Le concept de création de réseau m’a beaucoup plu et je crée donc Lean In Morocco Chapter en Janvier 2016 qui s’inscrit dans un esprit de solidarité et de bienveillance. Les raisons qui m’ont motivées à créer mon propre réseau sont diverses :

  • Mettre fin à ce sentiment d’isolement que toute femme peut rencontrer à un moment donné au cours de sa carrière professionnelle (manque de valorisation, plafond de verre, la maternité, etc.) ;
    • Etre un rôle modèle et créer une communauté de rôle modèle pour les générations de jeunes filles montantes et à venir ;
    • Créer une communauté fraternelle entre les femmes « sisterhood » dans laquelle les femmes vont faire preuve de bienveillance et d’entraide les unes envers les autres. Cette recherche « d’entre soi », qui semble si naturelle aux hommes, ne l’est pas vraiment pour les femmes.  

Nous sommes aujourd’hui un réseau de plus de 300 membres à ce jour basé principalement à Casablanca mais nous avons l’ambition de nous étendre sur les grandes villes au Maroc. Nos membres sont issus d’horizons très différents (cadres, professions libérales, jeunes diplômées, personnes en reconversion, etc.).

Quel est rôle de ce réseau pour le développement de l’entrepreneuriat et le leadership féminin ?

La vision de Lean In Morocco Chapter est de contribuer au développement des femmes au Maroc en tant qu’actrices clés au développement économique et social de notre pays, que ce soit dans le monde de l’entreprise ou dans le monde de l’entreprenariat.

La représentation des femmes est encore timide, à peine 22% des femmes travaillent officiellement et à peine 10% de femmes entrepreneuses, alors qu’elles sont créatrices de valeur ajoutée.

Nous souhaitons encourager les femmes à prendre plus confiance en elles et en leurs capacités et ainsi occuper davantage l’espace professionnelle, dominé par les hommes. Il ne faut pas oublier que le monde de l’entreprise a été conçu par les hommes et pour les hommes. Les femmes doivent ainsi contribuer à ce changement de paradigme en ayant plus de femmes dans des postes de leaders, siégeant dans des conseils d’administration ou dans l’entreprenariat. Et cela doit devenir une situation normale et non une situation exceptionnelle. Les femmes ont leur place !

Quelles sont les actions que vous avez menées dans ce sens ?

La vision de Lean In Morocco est assez large et nos activités sont orientées à la fois vers les femmes déjà en poste, les entrepreneuses et les jeunes étudiantes.

Parmi les initiatives proposées d’une part au profit des femmes membres, nous leur proposons des ateliers leur permettant de développer ou renforcer des soft skills importantes pour leur progression de carrière : prise de parole en public, marketing de soi, mentoring, des talks inspirants ainsi que des rencontres networking afin d’échanger sur différents sujets et pour encourager les femmes à sortir de leur zone de confort.

Depuis la crise Covid-19, tous nos événements ont lieu en distanciel. Nous avons tenté de maintenir la régularité de nos événements pour permettre aux membres de conserver et entretenir le lien et de ne pas se sentir isolées, dans ce contexte de crise, où les femmes se sont retrouvées d’une manière générale sur tous les fronts.

Au-delà de ces ateliers, les participant.e.s ont une véritable opportunité de partager de manière décomplexée et sans tabou des problématiques communes et de capitaliser sur les expériences partagées au cours des événements organisés. Les personnes ayant participé aux différents ateliers ressortent de ces rencontres avec plus de confiance en elles et une envie de se dépasser et d’aller de l’avant. D’ailleurs, certaines de nos membres reconnaissent que le réseau est un véritable accélérateur de carrière ou d’opportunités business.

D’autre part, nous proposons des activités au profit des jeunes étudiantes afin de les encourager à croire en elles et à réaliser leurs rêves. Parmi ces activités, nous avons mis en place notamment un programme de mentoring au profit de jeunes étudiantes en partenariat avec la Fondation Marocaine de l’Etudiant, pour leur donner confiance en elles et appréhender les défis de la vie professionnelle avec plus de sérénité. L’idée est de montrer aux jeunes générations que la réussite est possible lorsqu’on est une femme. Nous avons conçu le programme « Leader en Herbe », destiné aux jeunes étudiantes afin de leur donner des outils leur permettant de gagner en confiance et croire en leurs rêves.

Quels sont les critères pour adhérer à Lean In Maroc ?

Le réseau est ouvert à toutes les femmes et hommes motivé.e.s à rejoindre une belle aventure humaine où hommes et femmes mobilisent leur énergie et leur compétence pour une cause commune. Plus nous nous mobiliserons, plus nous pourrons accomplir de belles choses ensemble « Together we are stronger ». 

Toute personnes qui souhaitent faire partie d’une communauté bienveillante pour s’entraider et partager leurs expériences, défis et challenges pour aller de l’avant et partager des valeurs telles que la bienveillance, la solidarité et la générosité est la bienvenue.

Nous avons aussi un système de parrainage par lequel certains membres recommandent l’intégration d’autres personnes, au sein de Lean In Morocco Chapter.

Comment voyez-vous l’évolution de la situation des femmes au travail au Maroc ?

Le Maroc affiche un taux de féminisation parmi les plus faibles au monde, 21,5% (selon le Haut-Commissariat au Plan) et une grande majorité de femmes travaillent dans le secteur de l’informel, dont les revenus ne profitent pas à l’économie du pays. Et un taux de chômage qui touche plus gravement les femmes que les hommes (35 % en 2019, selon le Haut-Commissariat au Plan). A peine 12% de femmes sont à des postes de direction, seulement 10 % de femmes entrepreneures et encore trop peu de femmes au sein des conseils d’administration.

En matière d’égalité salariale, le Maroc se situe vers le bas du classement, derrière le Qatar, le Koweït et la Tunisie. Depuis le 1er janvier 2018, l’égalité salariale entre les femmes et les hommes est devenue obligatoire en Islande, premier pays au monde à faire entrer en vigueur une loi entérinant la parité parfaite. Selon un rapport du forum économique publié en 2018, il faudra encore plus de 200 ans pour parvenir à l’égalité salariale entre les hommes et les femmes dans le monde.

Le capital de la femme au Maroc est encore trop peu exploité. Le coût des disparités entre hommes/femmes est lourd de conséquences pour le Maroc, en l’absence de politique encourageant l’accès au travail des femmes.

Plusieurs études démontrent que les femmes représentent un potentiel considérable et sont des leviers à la croissance économique et ce dans le monde entier.

En effet, il est estimé un PIB additionnel à horizon 2025 de : $12 billions au niveau mondial, $310 milliards en Afrique Sub-Saharienne et $30 milliards au Maroc (Selon le rapport « Le pouvoir de la parité » : McKinsey Global Institute).

Vaste chantier … mais je reste néanmoins positive et motivée pour poursuivre ces efforts de sensibilisation.

A votre avis, pourquoi Les femmes n’accèdent pas aux postes de responsabilités au Maroc ?

Les femmes ont tendance à se dévaloriser par manque de confiance en elles, aussi victimes du syndrome de l’imposteur ou encore celui de la bonne élève. L’ensemble de ces croyances limitantes constituent selon moi, l’un des obstacles majeurs. Ne se sentant pas à la hauteur, elles vont revoir leurs aspirations à la baisse et ne pas exploiter leur plein potentiel. Plus les femmes prendront conscience de leur puissance et de leur force, plus elles seront en mesure de faire tomber ces barrières pour progresser et ainsi prendre plus d’espace.

Aussi, les obstacles restent nombreux aujourd’hui en l’absence de politique de mixité professionnelle solide, de politique d’accompagnement au retour du congé maternité de la femme, de flexibilité d’aménagement des horaires du travail, de disparité salariale, etc. D’ailleurs, certains pays européens n’ont pas hésiter à légiférer pour assurer un traitement égal entre la femme et l’homme notamment en matière d’égalité salariale obligatoire (Islande en 2018), ou encore pour assurer un nombre suffisant de femmes dans les conseils d’administration des sociétés du CAC 40, en France avec la loi Copé- Zimmermann en Janvier 2011 (qui a fêté ses 10 ans tout récemment), relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d’administration et de surveillance et à l’égalité professionnelle.

L’Allemagne a tout récemment imposé la présence des femmes dans les comités exécutifs. Décision historique.

S’il faut passer par des lois imposant des quotas au Maroc pour rattraper les écarts hommes-femmes, alors j’y suis favorable.

Sur quels projets travaillez-vous au sein du réseau

Lean In?

Nous avons lancé, en novembre dernier, une campagne de création des cercles l’année dernière pour encourager les femmes à créer leur propre initiative et se rassembler pour traiter de challenges communs. Plus les femmes se rassemblent en petit groupe, plus elles acquièrent cette confiance pour se dépasser et aller de l’avant.

Nous souhaitons étendre nos initiatives principalement concentrées à Casablanca à travers le Maroc, grâce au développement d’autres cercles. Grâce au digital, nous avons pu toutefois pendant la crise covid-19 toucher des femmes en dehors de Casablanca et ainsi faire profiter nos événements à une plus large communauté.

Nous poursuivrons aussi toutes nos activités en distanciel pour le moment et espérons bientôt pouvoir nous réunir de nouveau.