NAMITA DATTA et KAVELL JOSEPH

L’économie numérique peut ouvrir des perspectives d’emploi aux jeunes femmes et réduire les disparités chroniques qui pénalisent la population féminine sur le marché du travail. Les emplois qui reposent sur un travail à distance, flexible et en ligne peuvent aider les jeunes femmes à surmonter les freins à la mobilité, battre en brèche les normes régissant les relations entre les sexes et lutter contre la ségrégation professionnelle qui perdure dans les secteurs traditionnellement masculins. Cependant, les professionnels du développement doivent délibérément mieux cibler leurs programmes d’aide pour permettre aux jeunes femmes d’investir des emplois numériques gratifiants et accéder progressivement à des métiers plus qualifiés et mieux rémunérés.

Dans une récente note intitulée Jobs Interventions For Young Women In The Digital Economy, l’initiative Solutions for Youth Employment (S4YE) se penche sur l’intégration des femmes dans l’économie numérique et identifie des stratégies concrètes à l’intention des professionnels du développement pour la conception de programmes d’aide à l’emploi inclusifs.

1. Examiner les ressorts de la demande en emplois numériques, puis doter les jeunes femmes des compétences nécessaires pour exercer ces emplois

Dans un premier temps, les programmes doivent identifier les secteurs demandeurs d’emplois numériques. Un précédent rapport publié par S4YE (Digital Jobs for Youth: Young Women in the Digital Economy) met en évidence les quatre principales sources de création d’emplois dans le numérique : a) le secteur public ; b) le secteur privé ; (c) l’externalisation en ligne et d) les plateformes numériques pour les services à la demande (de type Uber) ou le commerce électronique (Etsy, Alibaba…). Identifier les facteurs locaux est une étape essentielle pour mieux cibler les programmes pour l’emploi. Un dispositif qui entend soutenir la création d’emplois pour des femmes résidant en milieu rural et moyennement aguerries aux technologies digitales pourra, par exemple, privilégier les possibilités offertes par les plateformes de microtravail. Un programme destiné aux jeunes femmes diplômées du supérieur pourra en revanche miser davantage sur l’entrepreneuriat numérique.

2. Faire preuve de créativité et mobiliser diverses stratégies de recrutement 

Prises par leurs responsabilités familiales, les jeunes femmes ne disposent que d’un temps réduit. Pour qu’elles s’inscrivent à un programme de formation, il faut faire preuve de créativité et utiliser diverses méthodes comme des techniques de mobilisation communautaire, le porte-à-porte, l’installation de kiosques d’information à des points stratégiques ou encore des annonces sur les réseaux sociaux. En Inde, le projet Saksham de Plan International a utilisé des voitures pour diffuser des annonces destinées à informer la population.

Selon la compagnie Accenture, qui compte parmi les partenaires de S4YE issus du secteur privé (a), une jeune fille aura plus de chances de poursuivre des études ou de chercher un emploi dans le domaine des technologies si les membres de sa famille sont sensibilisés à cet enjeu  et informés des atouts concrets qu’elle pourrait tirer d’une formation au numérique. Par ailleurs, en installant les centres de formation dans des lieux sûrs et accessibles, on peut lever les freins à la mobilité et multiplier le nombre d’inscrites. En Afrique du Sud, l’organisation Harambee (a) facilite le placement des jeunes en entreprise en suivant une règle de base : affecter les bénéficiaires à des emplois situés à une distance raisonnable de leur domicile.

3. Lutter contre les nombreux décrochages

Souvent, les jeunes femmes se retirent des programmes de formation parce qu’elles n’en voient pas clairement l’utilité et qu’elles ne perçoivent pas la manière dont l’acquisition de ces nouvelles compétences augmentera leurs chances de trouver un emploi. À cet égard, les dispositifs de formation en milieu de travail peuvent être une source de motivation financière. À Gaza, un projet de la Banque mondiale axé sur les programmes de travail contre rémunération et l’auto-emploi  a proposé à de jeunes femmes une formation au numérique de deux mois et un accompagnement professionnel de six mois. Elles ont ainsi pu percevoir un revenu immédiat pour des tâches effectuées en télétravail tout en suivant une formation sur les contrats complexes du travail indépendant numérique et sur le développement de logiciel.

Autre exemple : Laboratoria , une entreprise sociale partenaire de S4YE basée en Amérique latine, s’est attaquée en amont au problème du décrochage. Devant l’exigence de son programme, de nombreuses jeunes femmes avaient baissé les bras. Les équipes de Laboratoria ont alors repensé les entretiens préliminaires à l’admission afin d’identifier chez les candidates leur aptitude à la résolution créative de problèmes et leur détermination, essentielles à leur réussite. 

4. Encourager la confiance en soi

Les équipes chargées des programmes de formation doivent prévoir des temps de discussion afin de permettre aux bénéficiaires de s’exprimer et confier à leurs camarades leurs difficultés, et d’atténuer ainsi le risque d’abandon  en cours de route. On constate ainsi, dans certains dispositifs, que l’élaboration de groupes composés exclusivement de femmes favorise l’instauration d’un climat propice à l’apprentissage et à l’échange libre d’idées et de réflexions.

En outre, la possibilité pour les jeunes femmes d’entrer en contact avec des figures féminines des nouvelles technologies auxquelles elles peuvent s’identifier est un autre élément stratégique important pour leur donner la confiance en elles nécessaire à l’aube d’une carrière dans un secteur traditionnellement dominé par les hommes.

5. Former, encadrer et accompagner les entrepreneuses du numérique

La technologie numérique stimule l’entrepreneuriat, mais pour les jeunes femmes, des obstacles subsistent.  Le rapport Les bénéfices de la parité, publié en 2019 par la Banque mondiale, constitue une ressource utile pour ceux qui conçoivent des programmes d’appui à l’entrepreneuriat féminin dans le numérique. En plus des formations, du mentorat et de l’accès aux services financiers, ces dispositifs devraient également s’attacher à développer les réseaux professionnels des jeunes entrepreneuses.

C’est ce à quoi s’est employé le ministère fédéral allemand de la Coopération économique et du Développement , également partenaire de S4YE, avec le lancement de son initiative #eSkills4Girls (a) et l’organisation du #eskills4girls Africa Meetup, où cheffes d’entreprises technologiques, experts du secteur et jeunes entrepreneuses ont pu entrer en relation, aborder les difficultés rencontrées et réfléchir à des stratégies pour développer des programmes à plus grande échelle.

6. Tirer parti des projets d’infrastructure pour amplifier la création d’emplois

La pandémie de COVID-19 a souligné la nécessité toujours plus urgente de résorber la fracture numérique.  À l’heure où les gouvernements consacrent des investissements croissants à la connectivité internet, à l’infrastructure numérique et à la diffusion du haut débit dans les zones rurales, il est capital d’intégrer à ces grands projets publics un volet explicitement dédié à l’emploi. 

Un projet de développement de l’économie numérique (a) financé par la Banque mondiale au Kosovo, qui vise à élargir la couverture du haut débit dans les zones reculées, prévoit un volet exclusivement consacré à la formation des jeunes, en particulier des femmes, afin de leur permettre de tirer parti des nouvelles possibilités de travail en ligne. Les projets d’infrastructure numérique auront d’autant plus de retombées économiques sur les moyens de subsistance locaux qu’ils tiendront compte de l’enjeu de l’emploi.