Hind Bouzekraoui, professeure universitaire à l’Ecole nationale de commerce et de gestion de Tanger et ex-consultante dans des cabinets d’audit internationaux, décrypte, dans une interview à la MAP, l’état de l’entrepreneuriat féminin au Maroc et les facteurs de blocage à la création d’entreprises par les femmes.

Hind Bouzekraoui


Pouvez-vous dresser un état des lieux de l’entrepreneuriat féminin au Maroc ?

Plusieurs recherches ont démontré l’existence de différences significatives entre hommes et femmes entrepreneurs à bien des égards. Ces disparités apparaissent notamment et entre autres, par rapport au niveau et à la nature de la formation, aux qualités personnelles intrinsèques, au style de gestion, aux secteurs d’activités prisés et aux difficultés rencontrées.

C’est dans ce sens que l’intérêt accordé à l’entrepreneuriat féminin en particulier prend tout son sens et parait tout à fait légitime de par les spécificités qu’il représente par rapport à l’entrepreneuriat masculin.

Au Maroc, l’entrepreneuriat des femmes est aujourd’hui au centre des stratégies de développement socio-économique, après avoir été pendant longtemps reléguée à l’arrière-plan, la femme marocaine a pu enfin bénéficier au cours des dernières années de plusieurs réformes sur le plan social, institutionnel et politique lui garantissant des améliorations considérables notamment sur le plan de l’éducation, de l’emploi et du statut juridique.

À travers le développement de l’entrepreneuriat féminin, on s’est donc fixé comme objectif global l’inclusion et la cohésion sociale, et comme objectif individuel, l’autonomisation économique et financière de la femme marocaine ainsi que sa participation aux prises de décisions au niveau politique et institutionnel.

Comment s’explique le faible taux de l’entrepreneuriat féminin, surtout qu’en regardant les dernières statistiques, le Maroc enregistre un des taux de femmes ingénieurs les plus forts au monde (42,2%) ?

Les cursus de formation en ingénierie étaient jusqu’à ces dernières années complètement techniques, spécialisés et totalement dépourvus de toute formation à caractère entrepreneurial et  managérial. Les lauréates des écoles d’ingénieurs étaient pour la majorité prédestinées à combler un besoin sur le marché du travail. Le chemin pour la suite de leur parcours était presque tracé et s’orientait d’emblée, pour la plupart d’entre elles, vers le salariat plutôt que vers l’inconnu qu’est l’entrepreneuriat. Conscientes des répercussions de ce vide en termes d’accompagnement adapté aux élèves ingénieurs, les parties prenantes ont réalisé plusieurs progrès pour nourrir l’esprit entrepreneurial chez les jeunes ingénieurs en introduisant des modules de formation transversaux d’appui pour mieux construire et réussir leurs parcours de formation et réussir leur insertion professionnelle tant dans le salariat que dans l’entrepreneuriat.

En outre, dans un souci de structuration et d’accompagnement de l’entrepreneuriat étudiant, le projet SALEEM a représenté une initiative prisable destinée à affilier un projet de création d’entreprise au parcours universitaire.

Quels sont, d’après vous, les facteurs de blocage ?

On a eu l’habitude d’entendre que la volonté d’entreprendre démarre par une idée, or je serais bien tentée de dire que songer à créer son entreprise passe d’abord par une motivation intense qui pousse la réflexion à son paroxysme pour l’émergence d’une idée.

Ainsi, le premier facteur de blocage est dû à l’absence de motivation (facteurs push ou pull). C’est justement le cas de plusieurs femmes ingénieurs qui retrouvent dans le salariat la solution adéquate.

Par ailleurs, de manière générale, la femme entrepreneure marocaine peut se heurter à plusieurs freins qui interviennent à plusieurs phases du processus entrepreneurial. Selon notre étude, les femmes entrepreneures ont fait allusion à l’accès au marché comme principale contrainte avant d’évoquer l’accès au financement. D’autres contraintes peuvent aussi impacter négativement l’entreprise dirigée par la femme notamment celles d’ordre social et culturel liées au poids des mentalités et à un faible réseautage et accompagnement de la part des organismes de soutien.

Par ailleurs, on a tendance à évoquer l’aspect familial parmi les principaux facteurs encourageant la femme à entreprendre, d’après notre étude, 76% des entrepreneures affirment avoir un membre de la famille entrepreneur.

Quels mécanismes et leviers alors à actionner afin de booster et encourager les femmes à se lancer davantage dans l’entrepreneuriat ?

Pour contribuer à propulser les femmes entrepreneures marocaines au niveau escompté, une bonne connaissance de son environnement s’avère inéluctable.

La réussite des entreprises dirigées par les femmes est tributaire de plusieurs facteurs qui se réunissent dans leur combinaison la plus optimale. Parmi ces facteurs clés de succès on peut citer la participation de la femme entrepreneure à des réseaux et organismes d’accompagnement et de soutien. La valeur ajoutée du réseautage se distingue par sa capacité à accélérer le lancement et la croissance de l’entreprise en lui permettant de nouer des liens avec des pairs, de développer des opportunités d’affaires, de diligenter l’accès au financement et aussi et surtout de tisser des liens aiguillonnant le sens de solidarité et d’appartenance à une communauté et brisant la solitude de la dirigeante.

Certes les instances marocaines ont mis en place plusieurs programmes pour une meilleure valorisation de la femme entrepreneure, mais le taux d’intérêt manifesté à leur égard demeure très faible. Selon notre étude, seulement 21% déclarent avoir fait appel aux services de ces organismes ce qui est très faible vu l’importance que jouent ces institutions dans la création et la pérennité des entreprises féminines au Maroc. Il serait intéressant de multiplier les partenariats avec des entités internationales pour favoriser l’échange de “Best Practices” et enfin penser un accompagnement personnalisé et adapté à chaque type d’entreprise plutôt qu’un accompagnement standard. Sur le plan mentalité, un travail colossal sur l’amélioration de l’opinion sociale et l’ouverture des mentalités marocaines s’impose.

L’AMMC vient de lancer un guide sur les “Gender Bonds”. Dans quelle mesure cette initiative va-t-elle améliorer l’accès des femmes entrepreneures au financement ?

Plusieurs offres de financement sont proposées par les organismes de soutien à l’entrepreneuriat à travers notamment les institutions financières avec l’appui considérable de la CCG (Caisse centrale de garantie), cependant on note le faible taux d’utilisation par la gent féminine.

Représentant un financement d’un nouveau genre, les Gender bonds introduits par l’autorité marocaine du marché des capitaux (AMMC) interviennent quant à eux dans une logique inclusive destinée à mobiliser les financements destinés à favoriser l’autonomisation de la femme et à soutenir l’égalité homme- femme.

Les Gender bonds représentent un mécanisme de la finance durable qui permet d’émettre des obligations et de mobiliser ainsi des flux de capitaux destinés à couvrir des activités rentrant dans le cadre des objectifs de développement durable. Les Gender bonds viennent répondre exclusivement à la cause féminine et lui portent un intérêt particulier et multidimensionnel selon sa place et son statut au sein de l’entreprise. Financer l’entrepreneuriat des femmes représente ainsi l’une des composantes essentielles des Gender bonds. Cette initiative contribuera sans doute à diligenter l’accès des femmes entrepreneures marocaines au financement à travers l’élargissement et la diversification de l’offre financière.

La MAP