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Le 31 juillet 2021, le Parlement marocain a adopté une réforme qui, sans faire grand bruit dans les médias, constituera probablement un tournant majeur en faveur de l’égalité hommes-femmes dans le Royaume. L’amendement à la loi régissant les sociétés anonymes (loi n° 19.20 modifiant et complétant la loi n° 17-95 sur les sociétés anonymes cotées) promeut le principe d’une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de gouvernance des entreprises. Elle fixe des quotas obligatoires pour garantir la mixité dans les conseils d’administration des sociétés anonymes faisant appel public à l’épargne, avec un objectif minimum de 30 % de représentation féminine à horizon 2024, et de 40 % à horizon 2027. 

Cette loi est le fruit d’une coopération exemplaire entre le gouvernement, le parlement et la société civile, soutenue par un groupe de travail créé à l’initiative d’ONU Femmes et comprenant des femmes personnellement impliquées dans la défense des droits des femmes, ainsi que des représentantes du Club des Femmes Administrateurs au Maroc

La Banque mondiale, qui soutient toutes les initiatives favorisant l’inclusion économique des femmes et leur participation accrue dans les instances de gouvernance des entreprises, a appuyé cet effort exemplaire en incluant cette mesure parmi les réformes clés de son programme d’appui budgétaire de 450 millions de dollars au profit du gouvernement marocain en 2021. 

Une initiative audacieuse 

Rendre obligatoire la représentation des femmes dans les instances de gouvernance des entreprises faisant appel public à l’épargne est une mesure audacieuse que seuls quelques pays dans le monde (notamment la Norvège, la France, l’Italie, la Belgique, et l’Espagne) ont adoptée. Le Maroc est le premier pays de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) à franchir le cap. La réforme devrait renforcer la confiance dans les compétences d’encadrement des femmes, favoriser leur évolution professionnelle, stimuler la performance des entreprises et à terme soutenir la croissance économique. 

Cette réforme tire les leçons de l’expérience internationale, qui a démontré l’efficacité des mesures prises en matière de quotas pour renforcer la mixité dans les organes de gouvernance des entreprises sur le long terme. Selon l’indice d’égalité de genre 2017 de l’Union européenne (UE), la part des femmes dans les conseils d’administration a plus que doublé entre 2005 et 2015, principalement grâce aux quotas en faveur de la mixité imposés par certains pays européens, notamment la France, la Norvège, l’Italie et la Belgique. Le graphique suivant montre l’écart entre les pays qui ont adopté des politiques de quotas obligatoires et ceux ayant privilégié des approches non contraignantes :

Le Maroc a surmonté ses hésitations. Moulay Hafid El Alami, ministre marocain de l’Industrie et du Commerce de 2013 à 2021, qui a fortement soutenu la reforme, en est un des partisans convertis. Il a déclaré : « Ma première réaction a été un refus d’accompagnement. Bien que je sois un fervent défenseur de la mixité, je ne comprenais pas pourquoi on devait légiférer dans ce domaine-là. Eh bien, je me suis trompé. Petit à petit, j’ai découvert que la problématique est sérieuse et profonde. Il est nécessaire de légiférer dans certains domaines, lorsque les gens ne le font pas spontanément. » 

Un décalage coûteux 

Au Maroc, en dépit de l’article 19 de la Constitution de 2011 (Article 19, stipulant : « L’État marocain œuvre à la réalisation de la parité hommes- femmes ») en faveur de la parité, des inégalités profondes persistent en matière d’accès à l’emploi, qui se sont sensiblement creusées au cours de la dernière décennie : en 2020, les femmes représentaient 50,2 % de la population du pays mais seulement 23 % des actifs contre 27 % en 2010, selon l’étude de l’agence de statistiques nationale intitulée Haut-Commissariat au Plan, datant de 2021 (HCP 2021 « La femme marocaine en chiffres : 20 ans de progrès » ). 

Seules 13 % des entreprises marocaines étaient dirigées par des femmes en 2019 (19 % dans les services, 14 % dans le commerce et 13 % dans l’industrie). Dans le secteur public, les femmes ne représentaient que 23 % des dirigeants, 20 % des membres de la Chambre des représentants et 21 % des membres des conseils régionaux et locaux. 

Pourtant, en moyenne, les Marocaines obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les hommes. En 2021, 55 % des diplômés du secondaire étaient des femmes et la proportion de Marocains de 15 ans et plus ayant fait des études supérieures était beaucoup plus élevée chez les femmes (26 %) que chez les hommes (14 %). En outre, 60 % des diplômés en gestion et 50 % en sciences et technologies sont des femmes. 

Cette inadéquation entre l’éducation et le marché du travail reflète des inégalités tant en termes de réalisations professionnelles que d’accès aux opportunités. Des facteurs sociaux, économiques et culturels expliquent ce décalage, qui engendre d’autres formes d’iniquités (salaires, autonomie, exposition aux risques, représentation politique, etc.). En 2021, le Royaume a été classé 148ème sur 156 pays dans le Rapport mondial sur l’écart entre les femmes et les hommes (a) du Forum Économique Mondial pour la participation et les opportunités économiques. Les inégalités entre les hommes et les femmes en matière d’accès à l’emploi et aux postes de direction créent un déficit de main-d’œuvre et de compétences au Maroc, et freinent le développement économique et humain du pays. 

Une lueur d’espoir 

Dans ce contexte, la réforme ambitieuse mise en œuvre par le Maroc témoigne de sa volonté ferme de promouvoir une plus grande participation des femmes dans les instances dirigeantes. Ce changement d’état d’esprit s’est récemment reflété dans les élections de 2021, à l’issue desquelles trois mairies de premier plan ont été remportées par des femmes, une première dans l’histoire du Royaume. En outre, six femmes ont été nommées à des postes clés au sein du nouveau gouvernement, parmi lesquelles Nadia Fettah, première femme marocaine ministre des Finances, par ailleurs une des fondatrices et vice-présidente du Club des Femmes Administrateurs. À travers cette réforme, le Maroc illustre bien la pertinence du partenariat entre la société civile et le gouvernement pour initier le changement.

  • SOURCE: BANQUE MONDIALE