Dans les conditions actuelles des structures économiques et en prenant en considération leurs caractéristiques individuelles et socioéconomiques, les estimations du potentiel féminin montrent que près de 1,7 million de femmes inactives pourraient devenir des actives occupées en situation de salariat. La mobilisation de ce potentiel permettrait d’élever le taux d’activité des femmes à 34,8% et d’augmenter la valeur ajoutée totale de 13%. C’est ce qu’a souligné le Haut-Commissaire au Plan Ahmed Lahlimi Alami, lors de la rencontre organisée le 10 mars à l’occasion de la Journée Internationale de la Femme, sous le thème :« L’égalité de genre, impératif du développement durable ».

Selon le patron du HCP, au niveau de l’économie marocaine, la demande sociale est aussi défavorable pour les hommes que pour les femmes, mettant en chômage 11% des premiers et 17% des seconds. Si, quel que soit le sexe, les taux de chômage augmentent avec le niveau d’instruction, il faut admettre que la situation des femmes est beaucoup plus problématique, notamment pour les diplômées du supérieur qui rencontrent de grandes difficultés à accéder à l’emploi (33% contre 22% parmi les hommes).

En plus de la sous-valorisation du potentiel féminin dans le marché du travail, la qualité de l’emploi de la femme reste faible. Quand elles accèdent à l’emploi, celui-ci est dominé par l’emploi non rémunéré et une inégalité forte dans sa rémunération. 64% des femmes actives occupées ont un emploi rémunéré contre 91% pour les hommes. En outre, la quasi-totalité des branches présente un écart salarial significatif de l’ordre de 30% en défaveur des femmes. Cet écart est très fort dans l’Industrie où l’indice de parité affiche 2,45. Elles restent en général occupées dans des secteurs à faible productivité. Telle que révélée par le compte satellite de l’emploi, la productivité des femmes réalisée aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie est inférieure à la productivité moyenne de ces branches de 75% et 45% respectivement.

« La femme est en fait piégée par le poids historique des rapports sociaux. Elle y fait face avec beaucoup plus d’efforts que ne font les hommes. Mais elle a la même situation, qu’offre le marché de travail aussi bien aux hommes qu’aux femmes, qui reste peu créateur d’opportunités d’emplois en général et encore moins d’emplois décents en particulier », indique le Haut-Commissaire au Plan.

Dès lors, la tendance baissière du taux d’activité des femmes est l’une des caractéristiques structurelles de la situation de la femme au Maroc. Ce taux qui s’élevait à 30% au début des années 2000, il est aujourd’hui de près de 21%, dénotant d’une faible valorisation du potentiel que constitue, en particulier, les femmes inactives.

En fait, en comparant les deux périodes de 2000-2009 et celle de 2010-2019, il ressort que la contribution de la femme à la croissance économique est passée de 22% durant la première décennie des années 2000 à une contribution négative de 33% durant la deuxième décennie. Une perte due en grande partie à l’augmentation de l’inactivité de la femme qui a enregistré une contribution négative de presque 16% à la croissance économique.

« Dans les conditions actuelles des structures économiques et en prenant en considération leurs caractéristiques individuelles et socioéconomiques, les estimations du potentiel féminin montrent que près de 1,7 million de femmes inactives pourraient devenir des actives occupées en situation de salariat. La mobilisation de ce potentiel permettrait d’élever le taux d’activité des femmes à 34,8% et d’augmenter la valeur ajoutée totale de 13%. », a indiqué Ahmed Lahlimi Alami.

Malgré sa situation dans le marché de travail, la femme a une capacité plus grande de valoriser les capabilités qu’elle a acquise dans le système d’enseignement et de formation. Aujourd’hui, plus de la moitié (57%) des inscrits en instituts et écoles supérieurs sont des femmes, 13% dirigent des entreprises organisées et 19% des institutions sans but lucratif. Par ailleurs, les femmes représentent 40% des cadres supérieurs, membres des professions libérales et cadres moyens. Dans l’administration publique, elles occupent le quart des postes de responsabilité.

Ce leadership des femmes marocaines se déploie progressivement et induit aussi des changements fondamentaux au niveau social, économique et demain surement, politique et institutionnel. Au lieu de subir le chômage, sa combativité investit aujourd’hui un autre champ qu’exprime la féminisation du phénomène de l’émigration. Les femmes représentent près du tiers de la population migrante et près de la moitié de la diaspora marocaine dans les pays d’Europe. Le niveau d’éducation des femmes émigrées est

nettement plus élevé que celui des hommes. Près de 44,7% des femmes migrantes ont atteint le niveau d’enseignement supérieur et 20,1% le niveau secondaire contre respectivement 28,4% et 16,2% parmi leurs homologues hommes.

Compte tenu de la faible transformation des structures économiques et sociales, 8 femmes sur 10 restent en dehors du marché de travail. La plupart d’entre elles sont des femmes au foyer (73,7%) ou des élèves ou étudiantes (15,1%). Les femmes dans cette situation se consacrent essentiellement à la garde des enfants et aux tâches domestiques (54%). Dans ces conditions, les femmes sont responsables de 84% de la création de la valeur ajoutée des activités domestiques, principalement les services de préparation de repas et d’entretien de logement. Aussi sont-elles engagées dans la scolarité de leurs enfants, en leur consacrant 70% des services de soutien à l’enseignement. Au total, les femmes consacrent en moyenne 5h par jour aux travaux domestiques, soit presque 7 fois plus de temps consacré par les hommes. L’entrée de la femme dans la vie active ne l’a pas libéré de ses charges familiales. En exerçant un emploi professionnel, la femme continue à consacrer 4h17mn aux travaux domestiques.

Les femmes, qu’elles soient actives occupées ou femmes au foyer, participent, ainsi, activement au bien-être social du foyer familial. Elles jouent un rôle de volant de stabilisation de la société en contribuant à la reproduction sociale de la force de travail. La présence de plus en plus grande dans l’espace public, l’implication de plus en plus forte dans la société civile, son accès au savoir et de plus en plus à l’avoir et demain au pouvoir, annonce un leadership féminin dont les conséquences seront déterminantes dans les transformations et les valeurs de la société. Ces changements ne se feront pas spontanément. Les politiques publiques peuvent les contrarier, mais ce ne sera pas facile. Elles peuvent et doivent aussi les faciliter, en particulier, par une politique de discrimination positive.